JOURNAL D'UNE CHOMEUSE
Episode trente-huit : Nouvel emploi pour une nouvelle vie
Nouvel épisode du Journal d’une chômeuse
Lorsque tu es au chôm, arrive immanquablement le moment où tu te retrouves comme un zombie devant la téloche dans l’après-midi. Je vous rassure, tous les demandeurs d’emploi ne matent pas un écran 125 cm dolby je-ne-sais-quoi payé avec l’alloc de rentrée scolaire des mômes. Par contre zapper sur des émissions à la con après avoir fait chou-blanc en matière de recherche de job, ça oui.
Bref. Je faisais donc la patate sur mon canapé quand je suis tombée sur une émission de M6 où des agents immobiliers en compétition doivent trouver l’appart de leurs rêves à des gens super-chiants. Alors – comme je ne suis pas obsessionnelle – je me suis imaginée : « Pourquoi ils ne feraient pas ça avec des chômeurs ? »
Le concept serait simple : T’aurais trois conseillers de Pôle Emploi qui devraient, en moins de trois semaines, te trouver ZE job. Puis toi, ben tu ferais le tatillon ! Et que non, je ne souhaite pas manger dans la même cantine que Bernard de la Villardière… Et que non, je ne veux pas écrire pour les émissions d’Hanouna… Et que non, Canal + ça me dit rien… c’est plus The place to be…
Enfin, au final, un des gars de chez Pôlo te trouverait la perle rare. L’emploi trop gratifiant. Celui qui ne se refuse pas, tant l’épanouissement personnel et celui de ton compte en banque vont de paire.
Je me suis réveillée d’un coup sur le canapé.
J’ai réalisé que Valérie Damidot avait marouflé le marché de l’emploi. Qu’on avait planqué la misère sous des panneaux de bois décorés de jolies lumières. Je suis retournée sur Linkedin et j’ai constaté que rien n’avait changé.
Finalement, je vais peut-être proposer le concept à TF1.
Entre Koh-Lanta et Fort Boyard. Ça fera une meilleure télé-réalité.
(dessin Cabu)
Episode trente-six : Le grand bleu
Un nouvel épisode du Journal d’une chômeuse
Vous connaissez l’apnée du sommeil ? Ce syndrome qui fait que – en dormant – une personne subit un rétrécissement de son pharynx. Puis, lorsque ses voies aériennes se ferment complètement, elle s'arrête temporairement de respirer. Ce qui, il est vrai, n’est pas très bon pour la santé.
Eh bien sachez qu’il existe une autre pathologie beaucoup moins connue : l’apnée du chômeur !
Mais à la différence des malades évoqués au début de cet épisode, le sans CDD-fixe (ne parlons même pas de CDI) connait, lui, ce manque d’air depuis la signature de sa lettre de licenciement. De jour comme de nuit, y compris pendant les vacances. Ça lui tombe dessus n’importe quand. Lorsqu’il prend sa douche, va chercher ses mômes à l’école, discute avec le facteur ou s’actualise sur le site de l’ami Pôle. Pourtant, il ne semble pas être incommodé… Il parait aller bien, même si – il faut bien l’admettre – son entourage le trouve un peu chafouin depuis qu’il a été viré. En réalité, de plus en plus régulièrement, son cœur s’accélère, l’oxygène se raréfie dans ses poumons soudain minuscules. Il étouffe.
Ce sentiment dure deux minutes, deux heures, des journées entières, en fonction de l’avancement de la maladie. Selon une étude faite par mes soins en laboratoire, cette durée semble être à mettre en corrélation avec le temps passé à chercher un emploi. Mais également avec la courbe descendante des allocations. Il est d’ailleurs à noter que l’apnée du chômeur s’aggrave fortement à mesure que son basculement au RSA approche.
Alors attention, car en général, personne n’y voit que du bleu. Et le chômeur ne se rend pas compte de la gravité de son mal.
Ce serait con de le laisser crever la gueule ouverte, non ?
Episode trente-cinq : super pouvoir
Un nouvel épisode du Journal d'une chômeuse
Quand j’étais môme, j’adorais la série « L’homme invisible » avec David McCallum. Un peu pour sa coupe de cheveux improbable mais surtout pour son super pouvoir.
Et bien figurez-vous qu’à 47 ans, je viens de découvrir comment faire pour devenir invisible ! En vérité, y’a rien de plus simple, il faut juste être… chômeur. Pas besoin de machine compliquée, une petite lettre de licenciement suffit, et hop c’est parti !
J’avoue ne pas m’être rendue compte immédiatement de ce don fulgurant. Je m’en suis aperçue en envoyant des lettres et des cv par mail. Ben oui, petite précision pour les plus de 40 ans, on n’envoie plus rien par la poste. Bref. Un mail, deux mails, d’autres mails. Nada. Tu vérifies les adresses, c’est ok. Et puis tu réalises : les sociétés – qui pourtant font paraître des annonces – ne daignent pas répondre. A la poubelle, direct ! Sans passer par le courrier-type : « En réponse à votre candidature, je suis au regret de devoir vous informer que celle-ci n'a pas retenue notre attention. Soyez cependant assurée que cette décision ne met pas en cause vos qualités… blablabla… »
Que les boites où tu postules spontanément fassent la sourde oreille, à la rigueur. Mais les autres… D’autant que cela ne leur coûterait strictement rien grâce au dieu internet. Pourtant Pôle Emploi, lui, ne voit que toi. Faut accourir quand il te siffle ; faut prouver sans arrêt que tu fais le maximum pour trouver un job. Les employeurs, eux, que dalle ! Comme quoi, mon nouveau don n’est pas tout à fait au point.
Cependant il fonctionne sur Linkedin, où tu es quasi aussi transparent que chez les recruteurs. A une nuance près… Tu demandes une mise en contact, parfois on t’ignore, le plus souvent on t’accepte. Mais attention, sans jeter un œil à ton profil. Profil que tu as pourtant mis des heures à rédiger aux petits oignons. Quant à répondre à tes messages… Là, tu existes, mais on ne te voit pas. On ne te regarde pas. Tu n’en vaux même plus la peine.
Dernier point concernant l’invisibilité : ça marche pas mal avec les connaissances réelles voire les amis.
Ne me reste donc plus qu’à me fabriquer – comme ce brave David McCallum – une jolie perruque blonde à la Purdey de « Chapeau melon et bottes de cuir ». Elle au moins, quand les réponses ne lui convenaient pas, elle envoyait des mandales.
Episode trente-quatre : Pôlo, un ami qui vous veut du bien
Un nouvel épisode du Journal d'une chômeuse
Dis-moi Roger Gicquel, comment tu ouvrirais ton journal en 2016 si tu étais au JT (et encore vivant) ?
Tu dirais, c’est sûr : " La France a peur ! "
Et tu ajouterais sans nul doute : " Les chômeurs un peu plus que les autres "...
Pôlo aime à inviter ses 3,5 millions d’amis. Mais quand t’es son pote, faut pas le faire chier. Déjà, il a assez peu le sens de l’humour et déteste qu’on lui pose un lapin. Ainsi, lorsque tu reçois une gentille missive te convoquant, mieux vaut avoir une bonne raison de ne pas faire le déplacement. Car un manquement et bing, t’es radié pour deux mois ! Et si tu retentes l’expérience une seconde fois, re-bing. Mais alors, c’est pour deux à six mois ! Après, il n’est pas seulement tatillon sur la ponctualité, Pôlo. Ainsi (et je ne parle que d’un premier loupé), l’ami a plein de punitions en stock si ton comportement ne rentre pas dans les cases : Incapacité à justifier que tu cherches du boulot : 15 jours ; Refus de suivre une formation : 15 jours ; Refus à deux reprises d’une offre d’emploi raisonnable (pouf pouf) : 2 mois
Etc. Etc. Il en a plein des punitions comme ça. Et si tu oses la récidive, la sanction peut – selon les cas – aller de un à six mois….
T’as peur hein ?!
En même temps, si Pôlo a un peu mauvais caractère, il est quand même très joueur avec ses copains. Parce que dans les autres trucs à faire pour rester son meilleur ami, il y a l’actualisation. Chaque mois, pour ne pas qu’il te zappe, il faut aller sur son site et lui dire : « Je suis toujours là ». Mais auparavant, y’a un petit questionnaire à remplir, rédigé comme suit :
Pour la période du…
Avez-vous travaillé ? Oui/Non
Avez-vous été en arrêt maladie ? Oui/Non
Avez-vous été en congé maternité ? Oui/Non
Percevez-vous une nouvelle pension de retraite ? Oui/Non
Percevez-vous une nouvelle pension d’invalidité 2ème ou 3ème catégorie ? Oui/Non
Etes-vous toujours à la recherche d’un emploi ? Oui/Non
Tu l’as vu la blague ? Est-ce que tu l’as vu la feinte ? Eh oui, faire bien hyper attention de ne pas cocher « non » à la dernière question… sinon, pchout, radiation !
Tu vois finalement, l’ami Pôlo, il est quand même rigolo.
Episode 31 : Puisque tu fais rien, t’as bien cinq minutes ?
Episode trente et un : puisque tu fais rien, t’as bien cinq minutes ?
La course effrénée à l’emploi fait que le chômeur ne propose plus une compétence mais finit par mendier une place comme une faveur. Et le rapport de forces est tellement inversé que les annonces inacceptables deviennent envisageables.
Mon cas de journaliste-pigiste paumée en Nièvre n’est pas le super exemple puisque c’est un marché – comme pour la photo, l’écriture ou l’art – où tu es souvent confrontée à des paiements (très) différés à des demandes plus ou moins originales. Mais j’imagine que c’est pareil dans les autres branches et que vous avez des tas d’exemples…
L’autre jour, j’ai postulé en ligne pour une annonce qui disait : « Vous êtes rédacteur web ? Vous avez une formation littéraire ou une formation supérieure en journalisme et/ou communication ? Vous avez une expérience significative dans la rédaction en tant que journaliste, pigiste, auteur, écrivain public, chargé de communication ou correspondant de presse ? Vous avez une bonne maîtrise du français et une curiosité pour différents domaines ? Votre profil nous intéresse. »
Alors si ça t’intéresse, allons-y !
Je candidate (en ligne puisqu’il n’y a plus que ça aujourd’hui) et dès le lendemain, j’avais une réponse : la boite en question veut étendre ses activités… aux fiches produits sur le net. Pas gros rapport avec le journalisme et les méga-compétences demandées, mais bon… Et dans ce même mail reçu à 10h du matin, on te dit : « Afin de vous mettre en situation réelle mais aussi afin que je puisse évaluer votre niveau, je vous invite à effectuer le test suivant »… Un test grandeur nature pour faire la promo d’un site de lunettes en ligne avec de nombreuses contraintes dans le traitement. Pourquoi pas.
Mais le truc qui m’a fait voir rouge, c’est : « L’article test sera à rendre aujourd’hui avant 18h ».
Pardon, mais j’ai que ça à foutre ce jour-là ? Je n’ai pas de vraies piges à rendre pour le Journal du Centre ? Je n’ai pas un rendez-vous à honorer ? Je n’ai pas de gosses à récupérer ? Je suis à disposition, là, à la seconde ? Simplement parce que je suis au chôm ?
Bien évidemment, dans ce mail-test, on ne t’a pas parlé de rémunération. Forcément, t’as tellement faim, qu’ils imaginent que la précision est secondaire.
J’ai répondu (poliment) que je n’avais pas le temps aujourd’hui. Je n’ai jamais eu de réponse.
Pas grave. Des opportunités comme celle-ci, à mon avis, ça ne manque pas…
(dessin Chimulus Dessinateur)